Notre dernier rendez-vous du lundi débutait par une citation d’Albert Londres : « Quand on n’est pas sorcier, il faut être optimiste ! ». Tout en gardant à l’esprit les facteurs d’optimisme visés dans notre dernière publication – continuation du redressement de l’activité au niveau mondial (notons que la contraction historique du PIB japonais au deuxième trimestre de 27,8% en rythme annualisé devrait être corrigée par une reprise progressive de la consommation et l’effet des plans de soutien), stimulus budgétaires et monétaires forts comme en témoigne encore l’annonce de la Banque Populaire de Chine du renouvellement des prêts à moyen terme arrivant à échéance d'un montant de 700 milliards de yuans tout en maintenant le taux d'emprunt inchangé pour le quatrième mois consécutif... – il convient de faire un focus sur les deux facteurs, à court terme, de volatilité, à savoir l’inquiétude suscitée par l’évolution de la pandémie de la Covid-19 et les tensions sino-américaines.
Aussi intéressant soit-il, ce zoom ne peut se concevoir sans avoir en tête ce proverbe chinois tiré de la pensée de Lao Tseu : « Un voyage d’un millier de lis commence par un pas » (un li équivaut à 500 mètres).
Sur le front sanitaire, les nouvelles ne sont pas très bonnes : hausse du nombre de contaminations en France, situations préoccupantes aux Etats-Unis et en Inde. Or, l’absence d’inversion de la tendance aux Etats-Unis et, surtout, un dérapage en Europe (les cas espagnols et français étant à observer avec attention) pourraient avoir des conséquences sur la vitesse de la reprise économique engagée, devant nous permettre de sortir du cycle récessif en 2022 (e.g. le PIB réel dans l’Union Européenne ne devrait retrouver son niveau de 2019 qu’en 2022 selon une étude du FMI parue mi-juillet). Pour se convaincre de ce lien de causalité évident, il suffit de regarder l’impact sur les ventes au détail outre-Atlantique dont on a déjà observé un rebond moins fort qu’attendu en juillet. La statistique macroéconomique du jour, à savoir l’Empire State Manufacturing index, conforte ces craintes (l’indice sorti ce jour a reculé de 13,5 points à 3,7 pour août au lieu de 17,2 en juillet). Sur le vieux continent, les mesures de restriction de déplacement se multiplient : depuis samedi, le Royaume-Uni a imposé des mesures relatives aux personnes venant de France ; l’Allemagne a placé l’Espagne en zone à risque… De telles mesures sont de nature à ralentir le rythme de reprise et confortent les inquiétudes des marchés sur l’impact des regains de cas en Europe. Cependant, il convient de ne pas sous-estimer l’impact sur les marchés de la sortie probable d’un vaccin à l’horizon 2021, le nombre d’annonces de résultats précliniques positifs ne cessant de croître.
Sur le front sino-américain, les négociations commerciales prévues samedi ont été reportées. Or, la Chine n’a pu tenir son engagement d’achat de 200 milliards de dollars de produits américains en deux ans pour réduire le déficit commercial américain. Cette mesure centrale de l’accord de « Phase 1 » a été mise à mal par la pandémie de la Covid-19. Ce « virus chinois », selon les propos de Donald Trump, ne constitue pas, assurément, un cas de force majeure pour l’administration américaine qui s’en tiendra au retard d’exécution de l’accord par la Chine. Le déficit commercial américain pour les seuls achats de biens avec la Chine était de 28,4 milliards de dollars (sans prendre en compte les services) en juin. Souvenons-nous du discours de Mike Pompeo le 23 juillet dans la bibliothèque de l’ancien président Richard Nixon : « Distrust and verify ». Report des négociations commerciales mais pas des hostilités… Après TikTok et WeChat, Donald Trump a visé, samedi, le géant Alibaba qu’il a menacé d’interdiction d’exercice sur le sol américain (mesure assez limitée au demeurant sur le chiffre d’affaires du géant chinois dont la composante hors Chine est inférieure à 10% ; à noter que nous sommes bien loin des déclarations de janvier 2017 où Donald Trump et Jack Ma Yun ciblaient la création de près d’un million d’emplois aux Etats-Unis…). Vendredi, Donald Trump avait signé le fameux décret contraignant ByteDance (TikTok) à vendre ses activités américaines sous 90 jours… Tout ceci s’inscrit dans le plan « Clean Network » visant à « nettoyer » les réseaux (et plus précisément tout ce qui touche au « Cloud », aux puces, aux communications et au commerce en ligne) en s’en prenant aux colosses technologiques chinois. La liste des cibles est longue : China Mobile, China Telecom, Baidu, Tencent… Considérer le comportement de Donald Trump et de l’administration américaine à l’endroit de la Chine comme conjoncturel et lié à une optique populiste pré-électorale serait faire fi de l’enjeu géopolitique structurel et majeur qui voit s’opposer, presque naturellement, deux puissances dont les plans sont connus dans les secteurs stratégiques. Une élection éventuelle de Joe Biden ne devrait pas fondamentalement changer la donne sur le fond. Seule la forme changera (passage d’une rhétorique guerrière et isolationniste à une approche de fédération des alliés traditionnels des Etats-Unis contre la Chine).
Tout ceci n’affole pas, à ce stade, outre mesure, les marchés, insensibles aux licenciements, faillites, provisions..., et se raccrochant aux plans de relance et à la vigueur sectorielle des valeurs technologiques. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le S&P 500 qui a repris 50% à 3 372,85 points et cote juste en-dessous de son niveau d’avant crise, niveau constituant le plus haut historique de l’indice... Nous porterons, enfin, notre attention sur les évolutions liées à l’accord, toujours attendu, sur le nouveau plan de relance massif de l’économie américaine, encore dans l’impasse au niveau du Congrès américain, et dont l’absence ne peut être palliée que temporairement par les décrets du président Trump.