Démêler le vrai du faux. Même si cela constitue l’une des tâches incontournables en finance, il faut bien avouer que l’actualité rend la lecture des marchés financiers plus complexe. S’il est normal que ces derniers soient influencés par des facteurs exogènes (au premier rang desquels figurent les fameux cygnes noirs, comme la Covid-19 ou la guerre), il faut bien admettre que nous atteignons des sommets en matière de petits arrangements avec la réalité (la communication des banques centrales en 2021 en a été un bon exemple avec la fameuse « inflation temporaire » qui dure… ; la guerre, quant à elle, est naturellement propice aux réalités déformées voire à la désinformation, et cela n’est pas nouveau). La psychanalyse et l’anthropologie ont bien montré la forte propension humaine à dénier la réalité voire à vivre dans l’illusion. Essayons de traiter, en ces lignes, de quelques thématiques et d’y voir plus clair.
L’inflation a-t-elle atteint son pic ? L’indice des prix à la consommation (CPI) pour mars, publié le 12 avril, à son niveau le plus haut depuis plus de 16 ans, confirme que l’inflation accélère encore aux USA. En rythme annuel, la hausse atteint 8,5% en mars après +7,9% un mois plus tôt. Considérer que l’inflation aurait déjà atteint son pic revient à nier au moins trois facteurs : les tensions sur le marché du travail avec le risque de spirale infernale « prix/salaire », les blocages des chaînes d'approvisionnement dus à la résurgence du Covid en Chine (et à la fameuse politique du « zéro covid »), et l’absence d’accalmie réelle sur les prix de l’énergie et de l’alimentation. On peut effectivement se rassurer en considérant que l'inflation hors énergie et produits alimentaires ("core CPI") a ralenti à 0,3% en mars contre 0,5% en février, mais rappelons que l’inflation core a atteint 6,5% aux USA en rythme annuel. Certes, certains indicateurs économiques (comme le Baltic Dry Index, retombé à 2.055 il y a 15 jours après un pic à 5.650 en octobre 2021) laissent augurer d’un espoir d’accalmie de l’inflation mais il est bien trop tôt pour en tirer des conclusions. Toujours est-il que nous sommes bien à l’heure de la « shrinkflation » (les études montrent que cette pratique consistant à réduire la taille des produits ou des emballages en maintenant le même prix a tendance à croître). Jerome Powell a toujours refusé de se résoudre à un relèvement de l’objectif d’inflation de la FED. Ce serait pourtant une manière de sortir du tunnel de relèvement effréné des taux et de réduire le risque d’impact sur la croissance. Au moment où nous rédigeons ces lignes, le FMI n’a pas encore publié ses projections de croissance pour chaque pays (ce sera le cas dans la journée). Gageons qu’elles seront évidemment revues à la baisse sans pour autant signifier une entrée en récession à ce stade. Sa dirigeante, Mme Georgieva, résume bien les choses ainsi : « Pour dire les choses simplement : nous sommes confrontés à une crise se rajoutant à une crise. ».
Une BCE attentiste ? Le taux d’inflation dans la zone euro a également battu un nouveau record en mars à 7,5% sur un an et pourtant la BCE prévoit une hausse des taux « quelques temps » après la fin de l’APP. Gardons-nous de considérer cela comme de la légèreté. Il s’agit plutôt pour la BCE, dont le calendrier de normalisation de la politique monétaire est certes bien plus flou que celui de la FED, de ne pas réveiller un volcan endormi : celui de la crise de la dette de la zone euro. Malgré cette absence d’empressement affichée par la BCE sur la hausse des taux, les taux 10 ans allemands (+0,84% à jeudi) et français (+1,33% à jeudi) ont continué sur la voie de la pentification. La perspective de l’arrêt de l’APP est en effet bien suffisante (rappelons que la BCE détient 32% du total de la dette publique des États de la zone euro) et le Conseil des Gouverneurs de la BCE du mois d’avril 2022 a confirmé que les achats nets d’actifs devraient prendre fin au troisième trimestre 2022. Les écartements de spreads de taux continuent de s’accentuer entre l’Allemagne et les pays périphériques.
Les résultats d’entreprises seront-ils impactés par la guerre en Ukraine ? C’est presque une lapalissade selon d’aucuns. Néanmoins, toutes les entreprises ne seront pas affectées de manière égale par la hausse du coût des intrants et par la guerre selon leur secteur d’activité. Alors que les données de chiffre d’affaires du premier trimestre sur des entreprises importantes tomberont cette semaine (Danone, Carrefour, Kering, Schlumberger, Renault…), nous avons en tête celles publiées la semaine passée par les banques américaines (JP Morgan, Goldman Sachs, Citigroup et Morgan Stanley) et qui sont en forte baisse, pénalisées par des provisions significatives, et, au contraire, les bons chiffres affichés par les champions européens du luxe, Hermès et LVMH. Il nous semble trop tôt pour répondre à cette question et nous estimons que des sociétés répondant au facteur Quality (ayant un pricing power) ou encore de secteurs défensifs (santé…) ou soutenus conjoncturellement (secteur Oil&Gas ; zone LATAM) gardent du sens dans le contexte.
L’impact sur les valeurs de croissance est-il certain ? A notre sens, oui, au moins à court terme. Le Nasdaq Composite (-2,63% la semaine passée et près de -15% YTD) a déjà effacé plus de 1000 milliards de dollars de capitalisation cette année. Les secteurs de croissance, fortement valorisés, souffriront naturellement de la hausse des taux (cf. le graphique de la semaine), au moins à court terme.
La guerre en Ukraine toucherait à sa fin ? « Hakuna matata »… La Russie se concentrerait désormais sur la bande territoriale reliant le Donbass à la Crimée (méfions-nous néanmoins de la maskirovka…) mais sa conquête va prendre du temps. Si Vladimir Poutine cherche à afficher « une victoire » lors de la commémoration du Jour de la Victoire du 9 mai 1945, cela ne pourra certainement qu’être alors une victoire symbolique (prise de Marioupol par exemple). Or, Marioupol semble être clé dans le sort d’une reprise éventuelle de négociations et le président Zelensky a prévenu que « l’élimination des derniers soldats ukrainiens à Marioupol » conduirait à une impasse diplomatique.