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Les marchés à l'heure de la grande introspection ?

Rédigé par Thomas GIUDICI | 11 mai 2020 10:13:00

L’histoire semble inlassablement se répéter et on peut clairement se demander si ce confinement aura permis de révéler les vertus de l’introspection.

A chaque crise, l’unité de l’Union Européenne est mise à rude épreuve, avec en toile de fonds l’opposition Nord / Sud où les partisans d’un rigorisme budgétaire rechignent à renflouer les Etats jugés les plus laxistes sans contrepartie. La décision de la Cour Constitutionnelle allemande, sur la validité des actions de la BCE, est une épine de plus sur la route de la cohésion monétaire de la zone euro. Les juges de la cour de Karlsruhe n’ont pas remis en cause la validité du PSPP (programme de rachat d’obligations souveraines), déjà validé par la Cour de justice européenne en 2018, mais le caractère « proportionné » du programme massif de rachat d’actifs dans l’atteinte des objectifs de la BCE. La cour allemande reproche aussi à la BCE de ne pas avoir tenu compte des conséquences sur les politiques économiques des Etats (taux plus favorables pour les pays les moins vertueux) et sur l’indépendance de la BCE « de moins en moins en mesure de mettre fin et de renverser le PSPP sans mettre en danger la stabilité de l’union monétaire ». Bien que cette décision ne devrait pas avoir de conséquences immédiates sur le programme de rachat de la BCE, c’est une épine de plus pour les instances européennes et pour la BCE qui s’autorise dernièrement dans le PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme) plus de flexibilité dans les clés de répartition et dans sa limite de détention de 33% d’une émission obligataire. Le « débat » entre la juridiction suprême allemande et les instances européennes ravive des sujets pourtant clarifiés par la construction jurisprudentielle communautaire qui a instauré une sorte de pyramide des normes de Kelsen « modernisée » en érigeant la primauté du droit communautaire sur le droit national dans bien des domaines et une compétence réservée de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) pour juger de la conformité d’un acte d’une institution communautaire avec le droit de l’Union Européenne.

Au-delà des aspects de technique juridique, cette décision allemande rajoute surtout de l’incertitude sur la zone euro, qui n’en a pour l’heure pas besoin. La Commission européenne, notamment, est donc montée au front pour défendre l’action de la BCE, en menaçant même l’Allemagne de lancer une procédure d’infraction à son encontre.

L’histoire se répète également sur les marchés financiers, notamment aux Etats-Unis, insensibles aux chiffres macroéconomiques et préférant se rattacher au (re)réchauffement des relations sino-américaines, après le retour de la rhétorique guerrière de Donald Trump vis-à-vis de Pékin sur sa gestion de la crise du Covid-19 et sur le respect de l’accord de « phase 1 ». Les données du commerce extérieur chinois montrent cependant la volonté de la Chine de respecter ses engagements avec une baisse significative de l’excédent commercial sur les quatre premiers mois de l’année. Mais le président américain doit bien trouver un bouc émissaire en vue de sa réélection, ne pouvant plus se targuer de la bonne tenue des marchés financiers et de l’emploi. Les chiffres américains publiés vendredi font ainsi apparaître plus de 20 millions de destructions d’emplois sur avril avec un taux de chômage qui bondit à 14.7% (contre 16% attendu). La baisse du taux de participation montre cependant que ces chiffres sont sans doute sous-estimés à cause du confinement. Le taux de chômage serait en réalité plus proche des 24% selon Neel Kashkari, Président de la FED de Minneapolis. La FED est par ailleurs inquiète d’une seconde vague épidémiologique qui obligerait à reconfiner une partie du pays (on voit bien avec les exemples allemands et sud-coréens que le déconfinement ne se fera pas sans soubresauts) alors que la reprise de l’économie sera lente, malgré ce que laisse penser Wall Street.